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Le pantalon à plis





Il avait mis son pantalon à plis

celui des cérémonies des jours de fête

non pas que ce soit le plus joli

mais le dernier qu’il avait à se mettre


il a marché longtemps

les épaules ouvertes aux quatre vents

aux nuages à la poussière

il a serré les dents mangé du carton

les poings fermés sur la maison abandonnée

les ruines et le visage de sa sœur

gris de cendre et de paradis


il a marché longtemps les yeux ouverts

sur le chemin laissé derrière lui

les valises ébréchées remplies de vestiges

de photos de famille

et d’un pull tricoté des mains de sa mère

il a marché ainsi

dans la même direction que tous ceux qui

comme lui

regardaient droit devant


surtout ne te retourne pas

surtout ne te retourne pas

il a brassé des vagues

a cru mourir cent fois dans l’écume mordante

a injurié les cieux

a souri à la terre ferme

qui dessinait au loin un nouveau pays


il a dit merci

il a été poli

il s’est assis là où on lui a dit

il a caché ses mains sales

dans les poches de son pantalon à plis

il a montré son plus beau sourire

et attendu

attendu

attendu

que la vie commence à nouveau


ce matin il s’est réveillé le dos courbu

les pieds gelés le ventre affamé

son pantalon à plis fatigué

et toujours son plus beau sourire

et toujours les yeux rivés

sur les montagnes au loin

et ce qu’il imaginait au-delà


quand on lui a dit de courir

il s’est souvenu de sa sœur

de son visage plein de rires

du petit lit de bois du jardin en fleurs

et de la voix de son père


quand il a reçu la première balle dans la tête

il tenait un chiffon blanc dans une main

et son passeport dans l’autre

comme deux petits étendards


il est mort ainsi

loin de sa maison de son jardin fleuri

il portait son pantalon à plis

et le pull tricoté des mains de sa mère


si vous voulez connaître son nom

il s’appelait Mohamed ou Bassem ou Naël

si vous voulez connaître son âge

il avait vingt deux ans

si vous voulez connaître la date

c’était mardi dernier

si vous voulez savoir qui a tiré la première balle

vous ne le saurez jamais

si vous voulez savoir où il est mort

c’était dans le petit jardin fleuri

qui sentait bon le pain grillé

et le café au lait


c’est en tout cas la dernière chose

à laquelle il a pensé

car c’était bien là les seules choses

qu’il était venu chercher

un peu de pain

et un morceau de jardin.







 

Texte : Émilie Bruguière

Illustration : Per Adolfsen







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